VOI : X
« Au coeur des improvisations et compositions s’éprouve une langue que j’appelle « langue des bois » : l’impossibilité de dire qu’avec le langage dominant et signifiant. Cette langue de résistance, inarticulée, peut donner voix à celles et ceux qui n’en n’ont pas ou peu, elle émane de l’immédiat, ancestrale et futur… langue des bruits, des muets, des biotopes, des invisibles, des invalides, des chants improvisés lambeaux de mots…langue des soins, des cris, des souffles, langue en désœuvrement, vibration de lune. »
A Paris au début des années 90, tout en suivant un apprentissage vocal et musical (C.I.M école de jazz, chants hindoustanie, classique, polyphonique, contemporain…), Natacha commence à élaborer une recherche expérimentale, poétique et sonore, de l’instrument voix (dé)langage au sein de groupe et collectif multidisciplinaire.
Très vite elle confronte ses recherches, joue en public dans des lieux hétéroclites, en France et en Europe. Tout à côté elle nourrit une passion pour le cinéma, fréquentant intensément les cinés clubs et salles de cinémas, avec une bande d’ami·es.
En 1998, Natacha découvre l’improvisation libre, sa pratique, son histoire mineure, politique et esthétique, tout un champ d’exploration s’ouvre à elle. Elle rencontre alors des musiciens avec lesquels se tissent un rapport d’écoute, de disponibilité à l’autre et à l’instant, ionui : Michel Doneda, Jean Sébastien Mariage Baise en ville
Presque au même moment elle rejoint un grand ensemble d’improvisation, Nodal, impulsé par David Chiesa avec Mathieu Chamagne, Frédérique Blondy, Lê Quan Ninh, Isabelle Dutoit, Pascal Bathus, Laurent Hovenaers, Mathieu Werchowski, Vincent Geais, Bertrand Gauguet, Sébastien Cirroteau, Michel Doneda, Jean Sébastien Mariage.
En revanche, une autre nécessité s’opère, des lignes de fuites à nourrir, des sorties de la musique, lui permettant des respirations et des retours ravivés. Ainsi d’autres gestes naissent, Natacha commence une série de performance plastique et sonore et à partir de 2002 elle fait des films en super 8 et vidéos k7, en co-réalisation avec Nicolas Gerber.
En 2009, elle réalise avec des ami·es (Boris Belay, Cécile Duval, Nicolas Gerber, Keja Ho Kramer) un moyen métrage en 16 mm numérisé Angèle de Foligno, une adaptation très libre du Livre des visions et instructions. Plusieurs poèmes vidéos, films essais, films performances suivent.
Elle comprend que le désir de faire des films passe d’abord par un désir d’écoute, écoute de l’autre, des autres, d’un texte, d’une langue, d’ un chant, d’un son. Nécessité d’écoute pour faire lien et césure avec l’image. D’une certaine manière se distancier du champ visuel par l’écoute et revenir à lui par dessous, en explorer les tensions et résonances.
La même année, avec l’artiste eRikm, iels forment un duo électronique et voix, Cartouche. Se retrouvant sur la scène autant qu’à arpenter différents lieux, en enregistrant et composant des pièces pour la radio. En 2016, grâce à Alexandre Bacon, ami, anthropologue et conseiller politique au sein des premières nations, tout deux rencontrent la communauté Innu et bénéficient d’une bourse de l‘Institut français, HORS LES MURS. Iels composent une création radiophonique « Nitassinan, le territoire nous enseigne la nuit » diffusée sur France culture « Création on air » en 2017, ainsi que sur les radios communautaires au Québec.
D’autre part, Natacha ne cesse de continuer à irriguer des pratiques vocales libre et collective, dans toutes sortes de contextes : centre social, centre psychiatrique, école d’art, de musique, I.M.E…). Plus précisément, la pratique de l’artiste interroge le « choeur » (sans chef) comme potentiel inouï, intrinsèquement micro politique, terrain d’expérimentation multiple où ce qui fait commun s’invente, de manière éphémère et discrète. Elle met en pratique différents choeurs nomades dés les années 90 : Choeur terrain vague, Choeur pré-socratique (avec Gerard Vincent), Cent coeurs, Choeur in situ…
En 2012, Natacha insuffle Choeur tac-il, un choeur composé de personnes voyant·es et non voyant·e.s, devenu·es ami·es, dans lequel elle continue de concevoir de nouveaux modes compositionnels, distanciés du champ visuel — Blind partition, Ecriture empathique et par contact, cOde digitale — associé à la création inédite d’un robot dit « haptique ». Le Centre national de création musicale, Gmem, à Marseille collabore dés ses débuts à cette aventure.
En 2019 Choeur tac-til active Choeur augmenté, une manière de faire Choeur en improvisant collectivement avec d’autres personnes, enfants, adultes, adolescent.e.s ayant des troubles psychiatriques et/ou physiologiques, trois ou quatre membres de Choeur tac-til partagent leur expérience et soutiennent le choeur augmenté. En association avec la Compagnie, l’I.M.E Vert PRé, et l’association Off-cells, situés à Marseille, cette aventure continue.
En 2019, avec Alex Quérel, elles obtiennent la bourse Brouillon d’un rêve sonore, pour une création sonore avec Choeur tac-til.
En 2020 Natacha renoue avec le cinéma, en co-réalisant avec Stefano Canapa, L’année qui vient, film hybride se situant à la lisière du documentaire et de l’expérimental. Les films sont diffusés au sein de différents festivals (FID, Peuple et Culture, Instant vidéos, Festival des cinémas Différents et expérimentaux…) et sur plusieurs sites, notamment sur le site Dérives.
Un Laboratoire de création vocale s’active à Marseille en 2015, en résidence au Gmem, Natacha partage une pratique vocale libre, des techniques vocales étendues, l’art de la respiration, des soins, des lectures et écoutes, relatant une histoire autonome et concrète des musiques orales, improvisées, expérimentales, des chants traditionnels et contemporains, de la poésie et des arts sonores.
Issu du laboratoire, un ensemble vocal modulable Voix multiphonique se crée, des concerts in situ, en extérieur s’activent, au sein d’écosystèmes sonores différents. Depuis des années des personnes aux parcours et aux sensibilités différentes y participent, venant de Marseille, de France et d’Europe. En résidence depuis 2013 au Gmem, centre national de création musicale situé à Marseille, elle y poursuit différentes recherches et créations.
Son cheminement est jalonné de rencontres où se tissent (ou se sont tissés) des complicités avec les musicien·nes et artistes tels que Choeur tac-til & Lionel Marchetti, Michel Doneda (Coyote), Cécile Duval (Zaoum ba hump’f), Le UN (société d’improvisation), Aude Romary et Anglelica Castello (Mutantes), Christophe Cardoën, Jérôme Noetinger, Catherine Jauniaux, Mathieu Werchowski (Future folk stories), Stefano Canapa (L’année qui vient et Tienda oscura), Cécile Sans (Sous la voix), eRikm, Nicolas Gerber, Jean Sébastien Mariage, Wilfried Wendling, Jean-Carl Feldis, Boris Belay, Terminal Beach, Oracle…
Ces recherches prennent vie et se concrétisent lors de concerts, de performances sonores et plastiques, en France et ailleurs Inde, Italie, Grèce, Russie, Belgique, Argentine, Allemagne, Québec, Canada, Islande, Hongrie, Espagne, Maroc, Autriche, Palestine, Suisse, Japon…
Ses pièces concrètes et créations radiophoniques sont diffusées sur les ondes locales, nationales, internationales et web radio, site collectif, revue en ligne, festival : radio Galère, radio Grenouille, radio Libertaire, france Culture, france Musique, EAR YOU ARE Bruxelles, Wi Watt’heure, Firefly frequencies, P-node, La vie Manifeste, Résonance Montréal, Chimères Athènes Grèce…
Au fil du temps les recherches de Natacha activent de multiple champs d’applications : performance, improvisation, composition, écriture expérimentale, texte, film, essai vidéo, pièce radiophonique, partition, dessin, ateliers et laboratoire de recherche, technologie d’altérite
On pourrait dire à propos de ce travail et de ces ramifications nombreuses au fil des décennies, que l’artiste confronte tout autant les potentiels vocaux que les problématiques de normalité et d’esthétique, dont les limites que l’on assigne à la voix : celle de genre, de sexe, de classe, de langage dominant, ainsi qu’à la prédominance de certain sens.
2022 Entretien écrit en ligne Hémisphère son par Anne Montaron
CREATIONS EN COURS L’ANNEE QUI VIENT, film co-réalisé avec Stefano Canapa — CHOEUR TAC-TIL avec Lionel Marchetti (électroniques) — ZAOUM BA UMP’F HTLM avec Cécile Duval (comédienne, auteure) — COYOTE avec Michel Doneda (saxophones) invité François Rossi (batterie), LE UN (société d’improvisatrices) — MUTANTES avec Aude Romary et Angelica Castello — FUTURE FOLK STORIES avec Robin Fincker (saxophone ténor, clarinette), Mathieu Werchowski (violon / machines), Natacha Muslera (voix / poste radio à ondes-courtes), Fanny Lasfargues ( basse électroacoustique), Fabien Duscombs (batterie), Anaêlle Marsollier (sonorisation) — TIENDA OBSCURA, performance avec Stefano Canapa — LE GESTE D’APRES et SOUS LA VOIX, textes de Cécile Sans, Edition Série Discrète, Partition vocale et dessinée de Natacha Muslera, double lecture
Autres créations : LIMBE avec Aude Romary (violoncelle), Christophe Cardoën (lumières) Stephano Taiuti (danse) — ANORAK avec Catherine Jauniaux (voix, objets, flûte) — CHEVELURE MAGNETIQUE expérimentations mutlidisciplinaire sous les astres, de Marseille à l’ailleurs : Mathilde Monfreux, François Wong, Lauriane Houbey, Aude Romary, Armand Romary, Mafalda Da Camara, Catherine Jauniaux, Pôm Bouvier, Mélodie Duchesne…
RESIDENCES 2022-2023 CHOEUR TAC-TIL JAPON : Kyoto, Kobe, Osaka — CNCM-Gmem — CHOEUR AUGMENTE I.m.e Vert Pré, La Fabrik, La Compagnie, Marseille — FUTURE FOLK STORIES (Vélo Théâtre, Théâtre de Vanves) LABORATOIRE VOCAL-VOIX MULTIPHONIQUE, Gmem, Marseille — Réseidence d’écriture avec Cécile Sans à La Marelle, Villa Deroze, La Ciotat
PERFORMANCES VOCALES Incantation (voix, tambour, radio ondes courtes) — Singing with the trouble (micro poème vocal avec micro cravate) — Manifestation sauvage (voix en extérieur, acoustique) — Ondes courtes (voix & radio amplifiée)